Le forfait jours, un dispositif  soumis à des exigences

Chaque salarié concerné par un dispositif de forfait jours doit bénéficier d’un suivi effectif et régulier de sa charge de travail. De plus, ce forfait jours doit être organisé par le biais d’un accord collectif et répondre à plusieurs  exigences. Or, ce n’est pas toujours le cas… Et la Cour de cassation veille.

Le forfait jours est un aménagement du temps de travail qui permet un décompte en jours. Toute approche en heures travaillées est abandonnée. Donc pas question d’heure d’arrivée ou d’heure de départ. Le salaire ignore les heures et la rému nération est fixée en fonction d’un nombre de jours travaillés sur douze mois.

Cette approche évite un contrôle horaire, un décompte heure par heure et le paiement des heures supplémentaires. Sur le plan de l’orga nisation, il est souvent le reflet de ce qui est exigé pour les cadres.

Ainsi, les entreprises recherchent active ment les moyens d’échapper à un décompte du temps de travail pour des salariés qu’elles estiment embauchés pour une mission et non pour un volume horaire.

Certaines entreprises font signer des contrats de travail en forfait jours sans se poser de questions sur le socle juridique le permettant. Le conseil de l’entreprise doit être vigilant afin d’éviter des remises en cause, d’autant plus que la jurisprudence devient de plus en plus exigeante.

Il convient de vérifier le contenu de l’accord collectif pour envisager, le cas échéant, de le compléter et de proposer un texte assurant la santé et la sécurité afin d’éviter des consé
quences particulièrement dommageables.

La vérification de l’accord collectif

Le forfait jours doit être prévu par un accord d’entreprise ou par l’application directe d’un accord de branche (L3121-63 du Code du travail).

Afin d’éviter tout écueil, les maquettes des contrats de travail doivent indiquer la mention de l’accord collectif applicable.

« M. ou Mme est embauché(e) dans le cadre d’un forfait en jours en application de l’accord d’en treprise du XX (ou de l’article XX de l’accord de branche en date du XX). »

Le rédacteur du cabinet de conseil vérifiera ainsi le bien-fondé du contrat de travail.

Que faire en l’absence d’accord collectif ?

Bien évidemment, il n’est pas rare de constater la présence d’un forfait jours et l’absence totale d’accord collectif. Dans ce cas, la marge de manœuvre est étroite, car on ne peut régulariser la situation que pour l’avenir.

Deux solutions peuvent être proposées au client :
• sous réserve de l’accord du salarié, la signature d’un avenant au contrat de travail pré voyant un temps de travail en heures ;
• sous réserve de l’accord des négociateurs, la signature d’un accord d’entreprise. Rappelons à ce sujet qu’il est toujours possible de signer un accord d’entreprise même dans les très petites entreprises.

Le choix entre les deux solutions sera fonction des souhaits de l’entrepreneur et de l’appréciation des risques en fonction du nombre de salariés concernés.

Même si le rattrapage est effectué par la signature d’un avenant au contrat de travail ou la mise en place d’un accord d’entreprise, le salarié pourra demander des dommages et intérêts et, le cas échéant, le paiement des heures supplémentaires. Il pourra présenter sa demande pour la période antérieure à la signature de son avenant au contrat de tra vail en heures ou à la signature de l’accord d’entreprise. La prescription est de trois ans en ce qui concerne la demande de paiement d’heures supplémentaires.

Que faut-il vérifier dans l’accord collectif ?

Comme le droit n’est pas un long fleuve tranquille, les exigences du législateur ont varié. Les conséquences du contrôle du contenu seront différentes en fonction de la date de l’accord collectif.

Pour les accords collectifs signés après le 8 août 2016, il convient de vérifier si toutes les obligations légales de contenu sont bien prévues (article L3121-64 du Code du travail).

On peut utiliser le tableau suivant en le complétant à l’appui de l’accord collectif que l’on souhaite vérifier.

Contenu obligatoire de l’accord collectif N° d’article de l’accord le prévoyant
Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait.
La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs.
Le nombre de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours.
Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période.
Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre de jours compris dans le forfait.
Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.
Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise.
Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion (pour les entreprises de 50 salariés et plus).

Vérifications à effectuer pour les accords collectifs signés après le 8 août 2016

Le tableau reprend les obligations impératives ; si le contrôle conduit à constater un manquement, le forfait jours n’est pas applicable.

Pour les accords signés avant la loi du 8 août 2016, on peut utiliser le tableau suivant afin de  repérer les conséquences d’un défaut de précision dans l’accord collectif signé avant le 8 août 2016 (article L3121-65 du Code du travail).

Contenu obligatoire de l’accord Conséquences si l’accord ne le prévoit pas
Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait.
Non applicable.
La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs.
Non applicable.
Le nombre de jours compris dans le forfait, dans la limite de 218 jours.
Non applicable.
Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période.
Non applicable.
Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.
L’accord est applicable sous réserve pour l’employeur de fixer les modalités de suivi par un avenant au contrat de travail du salarié.
Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise.
L’accord est applicable sous réserve pour l’employeur de fixer les modalités de suivi par un avenant au contrat de travail du salarié.
Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
L’accord est applicable sous réserve pour l’employeur de fixer les modalités de suivi par un avenant au contrat de travail du salarié.

Vérifications d’un défaut de précision pour les accords collectifs signés avant le 8 août 2016

Concernant les accords signés avant le 8 août 2016, l’employeur  peut apporter des précisions afin de régulariser les absences de  contenu.  

Le texte du Code du travail ne précise pas par quels outils juri diques la régularisation doit s’effectuer. Il est conseillé de privilégier l’avenant au contrat de travail, qui a le mérite d’apporter la preuve des obligations des parties.

Les obligations en matière de santé et de sécurité

Historiquement, le forfait jours est né d’expérimentations  sociales légalisées par la loi du 19 janvier 2000. À partir de ce  texte et au fil des jurisprudences et des lois, la question de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée est posée comme  une condition indispensable au respect de la santé des salariés  en forfait jours.  

Le Comité européen des droits sociaux a estimé le forfait jours  français contraire à la charte sociale européenne (CEDS 14 janvier 2011), mais la Cour de cassation a validé le système à la condition que l’accord collectif précise comment l’employeur va s’assurer de la charge de travail (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-71.107)

La Cour de cassation a écarté un nombre impressionnant d’accords collectifs, y compris des accords de branche, en constatant l’insuffisance de moyens de contrôle de la part de l’employeur sur la charge de travail (voir notamment Cass. soc. 5 octobre 2017 n° 16-23.106, Cass. soc. 17 janvier 2018 n° 16-15.124, Cass. soc. du 24 mars 2021 n° 19-12.208, Cass. soc. 13 octobre 2021 n° 19-20.561).

Récemment, la Cour de cassation a précisé de nouveau les exigences de contenu de l’accord collectif (Cass. soc. du 5 juillet 2023 n° 21-23.222, n° 21-23.387 et n° 31-23.294). Il convient de souligner que pour être validé, l’accord doit prévoir plusieurs outils et méthodes afin de vérifier la charge de travail, mais surtout qu’il doit laisser apparaître que les outils de contrôle sont dirigés par l’employeur et non laissés sous la seule responsabilité du salarié.

Il y a donc à la fois une question de moyens par la création d’outils adéquats et une question de lien de subordination. En
effet, il appartient à l’entreprise et non au salarié de contrôler finalement la charge de travail, ce que l’accord d’entreprise doit clairement énoncer.

La convention des ETAM

On peut s’inspirer des clauses de la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM) du bâtiment (IDCC 2609) que la Cour de cassation vient de valider (Cass. soc. du 5 juillet 2023 n° 21-23.294) en estimant qu’elles imposent à l’employeur le contrôle régulier et le suivi de la charge de travail.

Les dispositions validées sont issues du 3 de l’article 4.2.9 de la convention collective : « Les ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours bénéficient d’un temps de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives et d’un temps de repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, sauf dérogations dans les conditions fixées par les dispositions législatives et conventionnelles en vigueur.

L’employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d’augmenter ces temps de repos minimum.

La charge de travail et l’amplitude des journées d’activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l’ETAM concerné, en permettant une réelle conciliation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale.

L’ETAM a droit au respect de son temps de repos, notamment par un usage limité, à son initiative, des moyens de communication technologiques.

L’organisation du travail des salariés fait l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et respects des durées minimales de repos.

Un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) sera tenu par l’employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l’employeur.

L’entreprise fournira aux salariés un document permettant de réaliser ce décompte.

Ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice.

La situation de l’ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d’un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail de l’ETAM et l’amplitude de ses journées d’activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié.

En outre, lors de modifications importantes dans les fonctions de l’ETAM, un entretien exceptionnel pourra être tenu à la demande du salarié et portera sur les conditions visées au point 1 ci-dessus. »

Les conséquences en cas de non-conformité de l’accord collectif

La non-conformité de l’accord entraîne sa nullité.

Lorsque l’accord n’est pas conforme ou en l’absence de tout accord, les risques sont liés aux conséquences de la nullité de l’accord, mais peuvent également s’étendre sur les questions de santé et de sécurité.

Parmi les risques, on peut noter :
• le paiement d’heures supplémentaires, sous réserve que le salarié apporte quelques éléments de preuve ;
• une infraction de travail dissimulé, dans le cas où il est prouvé l’intention de masquer frauduleusement les heures effectuées ;
• des dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation d’assurer la santé et la sécurité, en cas de surcharge de travail et d’atteinte à la santé.
• en cas d’accident du travail, les risques psychosociaux liés à une surcharge de travail peuvent conduire à la reconnaissance d’une faute inexcusable. Cela se fait par saisine du pôle social du tribunal judiciaire.

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